Michael
Connelly : Le mystère de l'écriture des romans noirs
Septembre 1998
Ecris
sur ce que tu connais. C'est l'adage auquel tout écrivain est
confronté lorsqu'il se trouve devant sa page blanche. C'est
probablement un conseil juste et utile. Mais lorsqu'il s'agit de roman
policier, l'écrivain doit écrire sur ce qu'il ou elle
ne connaît pas et ne veut pas connaître. Car l'art du
roman policier est d'ordonner le chaos. C'est sur ce chaos que vous
devez écrire, sans jamais souhaiter vraiment le connaître.
J'écris
sur les actes des déchus, les tueurs, le chaos, le désordre.
Grâce à un homme bon - l'enquêteur - je restore
ensuite l'ordre. Je prends les pièces d'un puzzle décomposé
et les ajuste pour ré-assembler l'image dans son entier. C'est
le sujet même du roman policier. Non pas la solution du puzzle,
mais l'acte d'assembler les pièces. Il y a une différence,
subtile mais réelle. Et dans cette différence se trouve
la raison pour laquelle nous aimons les romans policiers. Ils nous
rassurent. Ils nous disent qu'en effet, le puzzle peut être
reconstruit, que l'ordre peut toujours être restauré,
que le chaos n'a pas le dernier mot.
Cet optimisme
ne peut pas advenir sans la présence d'un personnage bon, homme
ou femme, au centre de l'histoire. Une personne qui ne craint pas
d'entrer dans ce que nous ne voulons pas connaître et qui trouve
la solution permettant de vaincre le mal et de restaurer l'ordre.
L'enquêteur Raymond Chandler écrivit un jour : "Dans
ces rues mauvaises doit descendre un homme qui n'est pas lui-même
mauvais, qui n'est jamais terni ou craintif
" Je ne crois
pas qu'une meilleure définition de l'enquêteur ait été
donnée depuis.
Ces dernières
décennies, le polar a évolué pour devenir une
exploration du personnage de l'enquêteur autant qu'une enquête
sur le crime lui-même. L'enquêteur cherche en lui les
solutions et les moyens de restaurer l'ordre. C'est dans ce qui forge
son personnage qu'il trouve les clés. Je pense que c'est un
bon développement pour le roman policier. C'est pourquoi je
suis toujours intéressé par l'écriture de ce
type de romans.
Lorsque
je m'assois devant mon écran blanc, je vois des personnages.
Je pense à ce que je veux faire avec mon enquêteur cette
fois. Qu'est-ce que je veux dire de lui ? Comment je veux montrer
qu'il a changé pour devenir plus conscient de sa propre vie
et de ce qui l'entoure ? Ce sont ces questions qui me stimulent et
m'intéressent. Mon travail est de raconter une histoire ; une
histoire remplie de menaces et de danger pour mon enquêteur.
Mais ce doit être une histoire que j'aurais envie de lire moi-même.
Ce doit être une histoire avec du cur et des sentiments.
C'est le seul moyen de supporter une enquête dans un milieu
que je ne veux pas connaître.
©
Michael Connelly, Los Angeles, septembre 1998
Texte publié dans le Walden book report, 1998