Prologue
inédit du Dernier Coyote
Peu de
garçons s'étaient cognés contre la clôture.
Moins encore l'avaient franchie pour atteindre le monde extérieur.
Ils ne dirent pas un mot jusqu'à ce qu'ils atteignent leur
but et puis ils se tinrent tous les deux debout regardant à
travers la clôture. Les montagnes de San Gabriel paraissaient
éloignées dans le smog. Il semblait au garçon
que cela sentait la pluie mais cela faisait des semaines qu'il n'avait
pas plu et il avait eu auparavant de fausses prémonitions sur
la pluie. La femme des services sociaux (l'assistante sociale) qui
les avait suivis se tenait à peu près à six mètres
d'eux. Observant tout le monde, mais n'observant pas n'importe qui.
La visiteuse rompit le silence. Tout d'abord, quelle signification
ont ces deux épisodes perdus de la vie d'Harry ?
- Est-ce que tu te sens un peu mieux maintenant ?
- Ça va, répondit le garçon, ne t'inquiètes
pas.
- Je dois m'inquiéter pour toi. Tu es mon bébé.
- Je ne suis pas un bébé.
- Je sais, tu comprends ce que je veux dire.
Après, ils ne parlèrent pas pendant un moment mais ça
allait. Il aimait juste être avec elle et il se sentait réconforté,
qu'ils parlent ou non. Elle n'avait jamais manqué une visite.
Il savait qu'elle le faisait aux yeux du tribunal, mais il pensait
qu'elle viendrait quand même le voir chaque jour même
si ce n'était que pour eux et que le tribunal n'avait rien
à voir avec ça.
Le tribunal était quelque chose qu'il n'avait pas encore vraiment
compris. En fait, il n'y avait jamais vraiment été,
mais il avait entendu d'horribles histoires racontées par quelques
uns des autres garçons du centre. Ce qu'il trouvait le plus
déroutant dans l'histoire était qu'il ne pensait pas
avoir fait quoi que ce soit de mal. Pourquoi donc le tribunal l'avait-il
envoyé là ? Pourquoi ne pouvait-il pas partir ? Il se
tourna et s'adossa à la clôture. Quelques gosses essayaient
de jouer sur le terrain. Il savait qu'ils ne lui proposeraient pas
de jouer avec eux. La femme des services sociaux vit le début
du jeu et marcha sur le côté du terrain, à une
distance assez sécurisée du marbre de sorte qu'elle
ne soit pas blessée avec quoi que ce soit. Le garçon
devina qu'elle savait qu'ils chercheraient intentionnellement à
lui lancer quelque chose pour lui faire mal ou peut être envoyer
un voyou le faire pendant l'échauffement entre deux tours de
batte.
La femme avec le garçon vit aussi le début du jeu.
- Tu sais, à la prochaine saison, les Dodgers seront dans le
nouveau stade au centre ville. Chavez Ravine. On va bien s'amuser,
pas vrai ? On ira voir Koufax. Le premier jour. Je te le promets.
Ça te plairait ?
Il acquiesça
et essaya de sourire.
- As-tu lu les livres ?
- L'un d'entre eux. Je n'ai pas encore terminé l'autre.
- Je devrai les retourner lorsque tu les auras terminés. Ils
appartiennent à la bibliothèque.
- Je sais.
C'était la raison pour laquelle il les avait cachés
entre son oreiller et l'emboîtage. Il protégeait les
livres comme s'ils étaient de l'or. Il pensait que s'ils étaient
considérés comme volés elle serait blâmée
pour ne pas les avoir rapportés à la bibliothèque
et que le tribunal le saurait. C'était sa plus grande crainte
mais il ne voulut jamais lui dire de garder les livres. Il savait
que cela comptait beaucoup pour elle et c'est pourquoi il les lut.
Et il les apprécia. Des deux frères, il pensa que son
préféré était Joe Hardy. Mais la plupart
du temps il devinait la fin des mystères avant l'un ou l'autre.
Il remarqua qu'elle portait la ceinture qu'il lui avait donnée
pour son anniversaire. Il savait qu'elle l'aimait bien parce qu'elle
la portait chaque fois. Il l'avait aidé à la choisir.
Et il l'avait payée. Cela lui faisait penser...
- Comment va Tante Meredith ?
- Elle va très bien. Elle allait venir
Elle ne termina pas sa phrase mais ça allait. Il pouvait deviner
la suite. Meredith avait un emploi.
- J'ai parlé au procureur, dit-elle, il a dit que l'appel n'avait
pas encore été planifié sur le calendrier du
tribunal mais on y est presque, bébé. Quand on y sera
- excuse-moi, je vais essayer d'arrêter de t'appeler comme ça.
Bref, quand cela sera prévu sur le calendrier je vais trouver
un emploi dans le café sur Ivar. J'en ai déjà
parlé à M. Sinkowski. Avoir un emploi régulier,
ça va m'aider. Le procureur a dit que si je - eh, que sont
devenues tes nouvelles Keds ?
Il regarda
ailleurs, vers les montagnes. Il détestait lui mentir. Mais
il détestait lui faire de la peine ou la rendre triste. Il
eut soudain envie de pleurer mais il savait que cela la ferait aussi
pleurer.
Elle s'approcha et tourna sa tête avec ses mains. Elle se baissa
de quelques centimètres pour poser son front contre le sien.
Elle faisait toujours ça lorsqu'elle voulait lui dire quelque
chose qui fait de la peine à dire. Elle parla doucement et
tendrement comme le font les mères.
- Qu'est-il arrivé à tes chaussures, chéri ?
Il hésita assez longtemps pour avaler sa salive.
- Un des gosses plus âgés du dortoir les a prises.
- Quel âge ?
- Je pense qu'il a treize ans.
- Treize ans ? Pourquoi les prendrait-il ? Elles ne lui iront pas.
Il ne répondit pas.
- Hieronymus, dis-moi.
L'utilisation
de son prénom formel était toujours la combine qui détruisait
toute sa résistance. Elle était la seule qui l'appelait
ainsi et alors cela avait pris une dimension spéciale lorsqu'elle
l'utilisait.
- Il les a prises parce qu'il le pouvait.
Elle se redressa et le garçon put voir sa colère. C'était
la colère d'une mère protectrice. Elle chercha autour
d'elle l'assistante sociale.
- Viens, on va parler à Mme Mathews et récupérer
tes chaussures.
Elle saisit sa main et se dirigea vers l'assistante sociale. Il la
tira en arrière, pour l'arrêter.
- Non, ça ne ferait qu'empirer les choses.
- Pourquoi ?
- Parce que. Ecoute, je n'ai pas besoin des chaussures. Je ne peux
aller nulle part de toute façon. Les chaussures que j'ai importent
peu.
Il se rendit compte qu'avec ces mots il avait fait ce qu'il ne voulait
surtout pas faire. Il avait réveillé la souffrance qu'ils
partageaient tous les deux. Il pouvait voir son effet dans ses yeux.
Et il savait que très vite elle se mettrait à pleurer.
Toutes les mères pleuraient lorsqu'elles venaient le jour de
la visite. Les fils pleuraient aussi. Et aucun des garçons
ne s'étaient jamais moqués des uns et des autres par
la suite. Même les plus âgés. Maintenant si un
garçon pleurait parce qu'il s'était blessé sur
le terrain de jeu ou dans le dortoir lorsque les plus costauds lui
prenaient ses chaussures alors il n'échappait pas à
des railleries enfantines et à sa relégation au statut
de pleurnicheur. Mais la règle tacite était qu'un garçon
pouvait pleurer avec sa mère le jour de la visite et qu'il
ne devait pas en payer le prix dans sa fierté d'enfant. C'était
comme ça.
Elle l'attira à lui et le serra dans ses bras, sa tête
contre ses joues. Il leva ses bras et entoura sa mère. Après
un moment, il put sentir ses larmes dans ses cheveux courts. Puis
elle lui chuchota à l'oreille.
- Je vais te sortir de là. Je te le promets, bébé.
Je me fiche de ce que j'aurai à faire pour ça mais je
vais te ramener avec moi.
- Je ne m'inquiète pas, dit-il d'une voix étranglée.
C'était tout ce qu'il put dire"
©
Michael Connelly