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par Mylène Tremblay (18 octobre 2001)

Fnac.net : On vous dit l'héritier de Raymond Chandler, que vous remerciez tout particulièrement pour vous avoir inspiré le titre anglais du livre, A Darkness More Than Night, tiré d'une phrase servant à décrire le lieu et l'ambiance de l'une de ses histoires : " The streets were dark with something more than night. " (NDLR : les rues étaient sombres avec quelque chose de plus noir que la nuit.)
Michael Connelly : Chandler a écrit, il y a une cinquantaine d'années, un essai dans lequel il essayait d'expliquer pourquoi le roman policier intéressait autant les auteurs et les lecteurs. Chandler a tenté de répondre à cette question en utilisant cette phrase : " The streets were dark with something more than night " qui souligne ce je-ne-sais-quoi d'indéfinissable qui attire les écrivains et par extension, les lecteurs. J'ai pensé que cette formulation conviendrait bien au titre du livre.

Michael Connelly : On dit que vous commencez vos livres en écrivant d'abord la fin.
Pas tout à fait. Il est vrai que je connais toujours la fin avant de commencer à écrire. C'est le milieu que je ne connais pas. J'aime emprunter des détours tortueux pour parvenir à cette fin en érigeant des personnages complexes et des intrigues alambiquées. C'est important pour moi de voir la lumière au bout du tunnel.

Ici, McCaleb vient dire à Bosch qu'ils ne peuvent plus être amis…
Le livre repose entièrement sur cette conversation que je n'avais cependant pas écrite explicitement au départ. Mais l'idée d'un chassé-croisé entre les deux détectives avec une confrontation ultime où ils se dissocient, cette dispute autour de la signification qu'ils accordent au précepte " la fin justifie les moyens ", constituaient mon point de départ.

A travers la confrontation entre les policiers Bosch et McCaleb, on apprend à mieux connaître ces deux personnages. Que cherchiez-vous à mettre en évidence ?
Je voulais creuser plus à fond la vie de mon personnage Harry Bosch. Celui-ci pratique le métier de détective depuis 25 ans, il baigne depuis tout ce temps dans les ténèbres que je décris longuement. Je crois personnellement qu'on ne peut pratiquer ce métier sans en garder des séquelles. Je voulais voir de quelle façon les ténèbres s'étaient emparées de Harry Bosch, comment il payait de sa vie pour exercer cette fonction. Lorsque j'ai entrepris ce livre, je me suis demandé comment j'allais faire pour examiner ce personnage. Je ne pouvais procéder comme d'habitude et décrire le monde à travers son regard. Il aurait été trop lourd de lui faire porter le poids de son auto-examen. Je devais créer une situation où quelqu'un d'autre l'étudierait. C'est pourquoi j'ai pensé à McCaleb, à cette confrontation entre les deux hommes. En se penchant sur le passé de Bosch, McCaleb faisait de lui automatiquement le suspect premier du crime sur lequel il travaillait.

L'enfance de Bosch est en tous points semblable à celle de James Ellroy : orphelin à 10 ou 11 ans, mère assassinée, meurtre non élucidé…
Ce livre approfondit certains traits de caractère de Bosch. Il y a dix ans, lorsque j'ai écrit mon premier épisode, j'ai créé ce personnage en m'inspirant un peu de mon propre vécu et de celui des détectives réels ou fictifs que je côtoyais. James Ellroy, que je connais de L.A., m'intéresse par son travail. C'est un homme dont la mère a été assassinée : effectivement, cette étrange destinée lui sert de matériau d'écriture. Je me disais : " Pourquoi pas un détective qui aurait les mêmes antécédents et qui travaillerait à résoudre les meurtres ? " Voilà comment j'en suis arrivé là.

Que pense Ellroy du clin d'œil que vous lui faites ?
Je lui en ai parlé. Avec sa façon typique d'aborder les choses, il m'a dit " Bonne chance, fais-le. Je n'ai malheureusement pas le même sang-froid devant le meurtre de ma mère. "

Vous proposez une esthétique du crime : le meurtre de Gunn s'inspire des scènes tirées des toiles du peintre flamand Hieronymus Bosch (Le Jardin des délices…), les deux autres meurtres puisent leur source dans le livre Victimes de la nuit, essentiellement constitué de photos de scènes de crimes et d'accidents inhabituels. Le crime tire-t-il sa légitimité de l'art ?
Je ne sais pas si le crime est légitimé par l'art. C'était seulement une façon pour moi de répéter certains thèmes. L'un des buts que je m'étais fixé était d'explorer la corrélation entre mon Harry Bosch et le vrai, le peintre. Ce que je n'avais jamais fait auparavant en huit livres… La seule façon de faire un lien entre les deux Bosch était de mettre en scène un meurtre inspiré des toiles du maître. Par ailleurs, on retrouve le réalisateur de cinéma David Storey inculpé pour un meurtre inspiré d'un livre. J'aimais l'idée d'un personnage vivant de son propre art, dont on découvre le monde secret de meurtrier qu'il met en scène dans ses films.

La théorie de la grande roue régit l'ensemble des actions posées par Bosch : " Pour toute action, il est une réaction, on ne saurait entrer dans les ténèbres sans que ces ténèbres pénètrent en vous. " Est-ce là le thème de l'éternel retour ?
C'est le thème de tous mes livres. Particulièrement celui des ténèbres que l'on regarde et qui regarde en vous. La théorie de la grande roue, c'est le moyen que trouve Bosch pour affronter le côté sombre de l'humanité. Car c'est très dur pour lui de garder la foi, de voir la main de Dieu dans ce qu'il fait.

Dans les deux enquêtes menées parallèlement par Bosch et McCaleb, les victimes sont mortes étrangement par strangulation. Avez-vous été appelé à couvrir ce genre de meurtre en tant que journaliste ?
Lorsque j'étais reporter, j'ai été appelé à couvrir des crimes bizarres mais rien qui se rapproche de ceux que je dépeins ici. Ils sont issus de mon imagination, fondés à partir de mes recherches. Par exemple, lorsque Bosch évoque des statistiques sur le nombre de personnes mortes par strangulation à caractère auto érotique, tous les chiffre sont exactes.

A travers les propos de Harry Bosch, vous portez un regard dur sur la justice et les journalistes. Est-ce l'expérience qui vous fait parler ainsi ?
Oui, tout à fait. Là d'où je viens, de L.A., il y a une distinction à faire entre ce qui est la nouvelle, la réalité et le divertissement. La ligne est difficile à tracer et parfois, on ne peut même pas la voir. La couverture du procès d'O.J. Simpson, par exemple, est devenu plus un spectacle télé que le déroulement d'un procès mettant en cause un criminel et des victimes. Je ne prétends pas écrire autre chose qu'un livre de divertissement, mais s'il y a une façon pour moi de faire passer un message ou un avertissement, je le fais.


Bosch parle de L.A. comme de la ville de la deuxième chance. Deuxième chance également pour McCaleb à qui on a implanté un nouveau cœur. Peut-on parler ici de rédemption ?
L.A. est une destination où les gens vont pour tout recommencer, réaliser leurs rêves, devenir quelqu'un d'autre. Je vis ici depuis 14 ans et je peux compter sur les doigts de la main ceux qui y sont nés. C'est la ville où tout peut arriver, où on peut se réinventer. C'est ce que Harry Bosch tente de faire à travers la prise de conscience de ce qu'il a fait. Harry Bosch est un détective de la section des Homicides, qui a réussi à se convaincre que la fin justifie les moyens. McCaleb lui fait remarquer qu'il y a quelque chose de mal à penser ainsi. Lorsque Bosch se lave le visage, réalisant ainsi le geste symbolique du baptême, il réalise qu'il s'est menti à lui-même, mais ne peut plus rien maintenant... McCaleb, lui, se rend compte que la vie sur son île idyllique avec sa femme et ses enfants est plus importante que de chasser les criminels de L.A.

Dans toute enquête policière, le détective doit trouver le déclic qui force l'action. Quel a été celui qui vous a fait écrire ?
J'ai grandi parmi les romans policiers dont ceux de Raymond Chandler, que j'ai lus en une semaine. Ce fut mon déclic, celui qui m'a incité à devenir écrivain. Sur une base quotidienne, l'idée d'écrire sur des personnages évoluant dans des circonstances particulières me fascine. La police de L.A. est probablement la plus corrompue du monde entier. Malgré cette réputation qui plane sur la tête de ses membres, il y en a parmi eux qui essaient de remplir leur devoir du mieux qu'ils peuvent. C'est à se demander comment ils parviennent à maintenir leur santé mentale…

Sur quoi porte votre prochain livre ?
Dans le prochain épisode, nous assistons à la rédemption de Bosch. L.A. lui permet de recommencer tout à zéro, de renaître. Le livre portera le titre de City of Bones. Alors que L'Oiseau des ténèbres porte sur la descente aux enfers de Bosch, le suivant portera sur sa renaissance.

 


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